Qualité du millésime 2020

« 2020 : une année qu'on oubliera, un millésime dont on se souviendra. »

Lettre du 15 mai 2021

Au premier abord, 2020 semble être un clone parfait de 2019 : même séquence météo avec un printemps très arrosé suivi d'un été particulièrement chaud et sec, pour au final un grand millésime bordelais né comme 2019 en pleine pandémie mondiale. Pourtant, la nature ne repasse jamais exactement le même scénario d'une année à l'autre et il existe plus d'une différence entre ces deux millésimes.

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Bordeaux 2020 : la météo en Gironde

Premier fait marquant en 2020 : un printemps excessivement arrosé. De mars à juin, il est tombé à Bordeaux 431mm cumulés de pluie soit exactement 50% de plus que la moyenne trentenaire (286mm). Par chance, le déluge s'interrompit du 14 au 31 mai, juste au moment de la floraison.

Second fait marquant : pratiquement deux mois de sécheresse absolue. Les pluies printanières cessèrent le 18 juin et il fallut attendre le 11 août pour avoir de nouvelles pluies (sous forme d'orages). À notre connaissance, jamais Bordeaux n'avait connu une aussi longue période rigoureusement sans pluies depuis que la station de Bordeaux Mérignac fait des relevés (1906).

Troisième fait marquant : un été chaud mais sans canicule. Passé le 18 juin, l'été s'est brutalement installé pour trois mois en Gironde. En cumulant la somme des températures journalières maximales enregistrées durant les 3 mois cruciaux juillet-août-septembre, l'été 2020 est le 4ème plus chaud depuis le début des relevés, 1,9°C au-dessus de la moyenne trentenaire, derrière 2018 (+2,7°C), 2003 (+2,2°C) et 2019 (+2,0°C) mais devant 2016 (1,8°C). Cependant, cette chaleur estivale fut régulière, sans aucune canicule (3 jours d'affilée à plus de 35°C) éprouvante.

Quatrième fait marquant : les pluies perturbant la toute fin des vendanges des rouges et compliquant à l'extrême celles des blancs liquoreux. Autant les 3 jours de pluie de la mi-août (11 à 13) ont été, après deux mois secs, accueillis comme une bénédiction, autant les 4 jours de pluie de fin septembre (21 et 24 à 26) n'ont pas été bienvenus en venant perturber la fin des vendanges des cabernets-sauvignons. Par la suite, le mois d'octobre avec 21 jours de pluie fut une succession de perturbations ne réservant en tout et pour tout qu'une courte fenêtre de 4 jours de beau temps (du 15 au 18) aux vendangeurs du Sauternais.

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Bordeaux blancs secs 2020 : beau millésime d'équilibre entre saveur, richesse et tension

Même si 2020 compte parmi les années les plus chaudes en Bordelais, 2020 a été favorable aux sauvignons et sémillons :

• l'état sanitaire fut en permanence idéal en raison de la sécheresse,

• la régularité des températures de juillet et août, sans vague de chaleur prolongée, a garanti une maturation sans à-coups et sans dégradation de l'acidité des raisins,

• la précocité enregistrée dès le printemps (15 jours d'avance au débourrement) s'est maintenue tout au long de l'été pour donner les vendanges les plus précoces de la décennie : à partir du 17 août pour les sauvignons et du 27 août pour les sémillons, sous une météo anticyclonique idéalement fraîche.

Le 10 septembre, les vendanges des blancs secs étaient terminées et les viticulteurs savaient qu'ils tenaient un grand millésime aromatique et frais. Les sauvignons, quoique moins exubérants qu'en 2019, montraient une belle fraîcheur sans arômes herbacés mais la grande réussite de 2020 est l'apanage des sémillons, savoureux et intenses, conférant aux assemblages profondeur et densité.

Le nord du Médoc, au climat plus tempéré qu'ailleurs en Gironde, et plus généralement tous les terroirs ayant une bonne rétention hydrique (calcaire et argiles) ont donné des blancs secs brillants en 2020.

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Bordeaux blancs liquoreux 2020 : miraculés

La production de grands vins blancs liquoreux nécessite une chronologie précise avec, dans l'ordre, la maturité des raisins, puis la botrytisation (pourriture noble) sous l'effet de l'humidité aérienne (brouillards, bruines) et enfin la concentration par beau temps sec (anticyclone) avant ramassage.

Alors que, fin août, 2020 se présentait au mieux, ce millésime aura mis à rude épreuve les nerfs des producteurs de blancs liquoreux durant deux mois :

• début septembre, la maturité des raisins blancs était acquise dans d'excellentes conditions (cf. vins blancs secs ci-dessus).

• c'est seulement fin septembre que les pluies automnales arrivèrent et avec elles le botrytis.

• l'enchaînement des averses en octobre empêchait toute récolte qualitative et l'inquiétude s'emparait des producteurs.

• l'accalmie miraculeuse survint à la mi-octobre. À peine 4 jours pendant lesquels tous les châteaux se dépêchèrent d'effectuer une seule et unique trie, avant que ne reprenne le défilé des perturbations signant la fin des espoirs d'une seconde trie.

En conséquence, 2020 en Sauternais est qualitatif avec des vins fins, purs, fruités, sur des corps demi-liquoreux leur conférant un style aérien et délicat. Mais il s'agit à nouveau d'une récolte infime (moins de 10hl/ha), après les précédentes amputées par le gel, la grêle, le mildiou... et en sachant déjà que le millésime 2021 a été gelé à 80% début avril. Avoir du courage pour produire de grands vins blancs liquoreux ne suffit plus, il faut maintenant de l'abnégation.

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Bordeaux rouges 2020 : 5ème grand millésime depuis 2015

Au vu des cumuls d'ensoleillement et de température de l'été, il était évident que 2020 serait à nouveau un grand millésime pour les rouges. Dans la formidable série de grands millésimes bordelais récents - 2015, 2016, 2018, 2019 et 2020 -, notre intuition est de placer 2020 derrière les exceptionnels 2016 (le raffinement) et 2018 (la richesse) mais devant 2015 et 2019.

Ce jugement est global à l'échelle de la Gironde et souffre d'innombrables exceptions à l'échelle de chaque château. Une chose est sûre : les dégustations, comparaisons et évolutions de ces 5 millésimes seront absolument passionnantes à suivre et n'ont pas fini d'alimenter les débats.

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Bordeaux rouges 2020 : le cycle végétatif, débutant comme 2016 et finissant comme 2015

Si le printemps 2020 fut copieusement arrosé, il fut également très doux induisant une précocité de la vigne de deux bonnes semaines sur la normale, avance qui s'est maintenue jusqu'aux vendanges des blancs comme des rouges.

La floraison s'est déroulée sans encombre fin mai par temps sec, avant le retour début juin des pluies et du mildiou associé.

La bascule météo du 18 juin et le beau temps absolument sec qui s'ensuivit redonnèrent le moral aux viticulteurs, asséchant les sols détrempés et éradiquant les attaques de mildiou. Pendant deux mois pleins, la vigne a envoyé ses racines et radicelles à la poursuite de l'abaissement graduel des nappes phréatiques, puisé l'eau dont elle avait besoin en quantité adéquate, ni trop ni trop peu, et pu profiter sans stress de l'ensoleillement généreux.

Le printemps très humide n'augurait rien de bon, la sécheresse de l'été aurait pu être un handicap, mais ces deux événements mis bout à bout ont été une chance. Ces conditions de début de cycle sont le parfait copié-collé de celles rencontrées en 2016 (avec une bascule météo exactement le même jour : 18 juin).

Voici ce que nous écrivions dans notre première lettre "Primeurs 2016" en mai 2017 : « un printemps frais où il a plu beaucoup et souvent, les 3 mois avril-mai-juin enregistrant +62% de pluies par rapport à la norme » puis « le 18 juin, renversement du tout au tout de la météo, avec l'installation d'un temps parfaitement sec et ensoleillé jusqu'au 3 novembre, soit pendant 4 mois ».

La ressemblance avec 2016 cesse à la mi-août avec 3 jours (du 11 au 13) de pluies soutenues (55mm soit l'équivalent d'un mois d'août moyen), arrivées à point nommé juste après la véraison et avant que le stress hydrique ne devienne trop intense. Par la suite et jusqu'au 21 septembre, c'est un temps classique de fin d'été, ensoleillé, plus frais et sans pluie, permettant une maturation lente, une bonne synthèse des anthocyanes (responsables de la couleur) et des vendanges sans nuages.

Les merlots les plus précoces ont été vendangés dès les premiers jours de septembre, suivis dans la foulée par les cabernets 10 à 15 jours plus tard. Les pluies de la dernière semaine de septembre ont gêné le ramassage des parcelles les plus tardives de cabernets-sauvignons. Ce scénario nous rappelle le millésime 2015 dont la fin des vendanges de cabernets-sauvignons avait également souffert de pluies. Mais, en 2020 comme en 2015, les grands crus aux terroirs plus précoces avaient fini leurs vendanges avant les pluies.

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Bordeaux rouges 2020 : les grands gagnants

Au vu de ces conditions climatiques et après les dégustations de ce printemps, les grands gagnants du millésime 2020 sont :

• Côté terroir. Les sous-sols capables de retenir l'eau et donc adaptés à la sécheresse, parce qu'ils ont une assise calcaire (Fronsac, Saint-Émilion, Castillon, Saint-Estèphe) ou une proportion importante d'argile (Pomerol) ou de marnes (Médoc en bordure du fleuve).

• Côté vignoble. L'âge des vignes a été un facteur qualitatif décisif en 2020, un meilleur enracinement étant garant d'une meilleure alimentation hydrique et d'une absence de blocages de maturité.

• Côte cépages. La chaleur régulière tout au long de l'été, la (relative) fraîcheur après la mi-août en fin de maturation des baies et les vendanges à la mi-septembre sous une météo exemplaire ont privilégié les merlots et petits verdots, au point d'être prioritairement retenus cette année dans les assemblages des grands vins.
Les deux cabernets (franc et sauvignon) parfaitement mûrs, ont donné des vins colorés et tanniques, sans aucun caractère végétal. Seuls ceux issus des parcelles les plus tardives, ramassés sous la pluie, ont dû être déclassés dans le deuxième ou troisième vin.

Sans parler d'hétérogénéité, il faut reconnaître que, comme en 2019, ce sont les grands crus qui ont tiré le meilleur parti du millésime 2020, avec des terroirs qualitatifs et plus précoces, de plus vieilles vignes et une main d'œuvre abondante immédiatement disponible en ces temps de crise sanitaire.

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Bordeaux rouges 2020 : la fraîcheur aromatique des 2016 et la douceur tannique des 2019

Deux caractéristiques se retrouvent dans les réussites de 2020, en rive gauche comme en rive droite et sont la signature du millésime :

• une belle fraîcheur qui se révèle tant au nez (arômes de fruits frais, cassis, cerise noire, non compotés) qu'en bouche (finales mentholées), conférant dynamisme et longueur. La chaleur sans à-coups après le 15 août a permis une maturation régulière, préservé l'acidité des raisins et donné aux 2020 un équilibre typiquement bordelais, comme en 2016.

• une remarquable douceur tannique, d'autant plus étonnante que les indices tanniques des merlots et des cabernets-sauvignons de 2020 sont plus élevés qu'en 2019, 2018, 2016 et 2015. La parfaite maturité des peaux et des pépins explique certainement le soyeux et les fins de bouche voluptueuses des 2020, à l'image de celles des 2019.

Heureusement, l'alcool n'a pas masqué les qualités des 2020, les degrés étant restés dans la limite du raisonnable (pour un millésime de chaleur et de grande maturité) et le plus souvent inférieurs à ceux de 2018 ou 2019 :

• 13,5° en moyenne en rive gauche (cabernet-sauvignon majoritaire), souvent moins comme par exemple à Lafite (12,8°), Duhart-Milon et Pédesclaux (13,0°), Mouton et Gruaud-Larose (13,1°)...

• 14,5° en moyenne en rive droite (merlot majoritaire), souvent moins comme par exemple à Figeac (13,8°), La Conseillante et La Gaffelière (14,0°), Cheval-Blanc et Côte de Baleau (14,2°)...

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Bordeaux rouges 2020 : une petite production, surtout en grands vins

Sans être aussi faible qu'en 2017 (gelées des 21 et 28 avril), la récolte 2020 affiche de faibles volumes, près de 30 hl/ha en rive gauche et 40 hl/ha en rive droite, conjugaison de plusieurs facteurs :

• une floraison par endroit poussive et irrégulière, responsable de coulure (non fécondation de la fleur),

• la sécheresse de l'été qui a donné de petits raisins, à peau épaisse et peu de jus (les cabernets-sauvignons avaient les plus petites baies mesurées de ces 5 dernières années),

• le déclassement en second ou troisième vin des dernières cuves de cabernet-sauvignon vendangées sous les pluies de fin septembre.

Au total, les grands crus, notamment en rive gauche, ont annoncé des baisses de rendement significatives en 2020, entre -15% et -25% par rapport à l'an dernier. Mais ces baisses de rendement sont très variables d'un cru à l'autre, voici quelques exemples de crus immédiatement voisins et de même standing :
- Montrose est à 29 hl/ha quand Cos d'Estournel est à 39 hl/ha
- Saint-Pierre est à 33 hl/ha quand Beychevelle est à 46 hl/ha
- Petit Village est à 27 hl/ha quand La Conseillante est à 39 hl/ha

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Bordeaux rouges 2020 : des prix intermédiaires entre ceux de 2018 et 2019

Le prix des Bordeaux rouges avait atteint un point haut lors des Primeurs 2018. L'an dernier, alors que la pandémie se répandait sur tous les continents et suscitait une inquiétude générale, les Primeurs 2019 ont été mis en marché avec des baisses de prix allant de -20% à -30%.

Ce printemps, la crise sanitaire est toujours là mais les vaccins laissent entrevoir à court ou moyen terme une issue positive. Dans ces conditions et en tenant compte des faibles rendements, le prix des Bordeaux 2020 était attendu en hausse de 10% à 15%, plaçant 2020 à mi-chemin entre 2018 et 2019. Cette règle logique du mi-chemin a été respectée par 96% des crus que nous vous proposons en primeur, la majorité d'entre eux étant dans le bas de la fourchette, avec un prix 2020 plus proche de 2019 que 2018.

Partant du principe que 2018, 2019 et 2020 sont trois très grands millésimes bordelais d'égale réputation ayant des notes et commentaires comparables, leurs prix sont appelés à se rejoindre quand ils seront disponibles après la mise en bouteille.

Soit une appréciation moyenne prévisible de 20% à 30% pour les 2019, et de 10% à 15% pour les 2020.

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