Millésime 2019

PRIMEURS 2019 BORDEAUX (avant-propos au 1er mai 2020)

Voici l'état d'esprit prévalant à Bordeaux, après un mois et demi de confinement général :
 
• au lendemain de l'allocution présidentielle du 12 mars, toutes les dégustations "Primeurs 2019", à savoir celles organisées pour les journalistes, les négociants et les acheteurs professionnels du monde entier ont été ajournées.
 
• la perspective d'une libre circulation dans un rayon de 100 km à partir du 11 mai va permettre aux négociants bordelais de reprendre le cycle des dégustations mais individuellement car les rassemblements de plus de 10 personnes sont pour l'instant interdits.
 
• les journalistes et acheteurs étrangers ne découvriront que plus tard (cet automne ou l'an prochain ?) les Bordeaux 2019. Nombre de crus envoient actuellement des échantillons de leur vin aux 4 coins de la planète mais la fragilité de ceux-ci en cours d'élevage rendra les jugements aléatoires.
 
• dans ces conditions et en espérant que le déconfinement se déroule comme prévu, il y a un consensus pour une campagne "Primeurs 2019" entre juin et juillet prochain.
 
• cette campagne écourtée ne concernera pas 400 à 500 crus comme chaque année, mais a priori seulement 100 à 200 crus.
 
• parmi ces 100 à 200 crus, une quarantaine (les plus prestigieux et/ou les plus en vogue) connaîtront le succès habituel, le millésime 2019 étant de haute qualité (voir ci-après).
 
• pour les autres crus, nous nous attendons à des baisses de prix spectaculaires, à l'image de ce qui s'était passé avec le millésime 2008 sorti en pleine crise bancaire. D'autant qu'ils n'auront pas les notes et le soutien des critiques.

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Bordeaux 2019 : la météo en Gironde

Contrairement à 2018 (dégâts du mildiou), l'hiver et le printemps 2019 se sont déroulés sans incidence particulière sur le cycle végétatif de la vigne, jusqu'à la floraison dans les premiers jours de juin.

C'est ensuite que les conditions se sont mises en place pour un grand millésime bordelais. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer les chiffres 2019 avec la moyenne trentenaire 1981-2010 sur les 3 mois cruciaux (données Météo France) :

• température : juillet +3,1°C, août +1,3°C, septembre +1,5°C

• ensoleillement : juillet +31%, août +12%, septembre +10%

• précipitation : juillet -17%, août -40%, septembre -19%

L'été 2019, à nouveau plus chaud, plus ensoleillé et plus sec que la norme (comme en 2018, 2016, 2015...) atteste de la haute qualité du millésime.

En fin de saison, la météo était parfaite pour des vendanges faciles : températures diurnes entre 20 et 25°C, ensoleillement important, pluies espacées et aussitôt asséchées. Ceci permit à chacun de vendanger sans stress, à partir du 26 août pour les blancs secs, 16 septembre pour les merlots, 30 septembre pour les cabernets et début octobre pour les blancs liquoreux.

À l'arrivée de la première pluie automnale (26 mm le 14 octobre), les raisins étaient déjà dans les cuviers.

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Bordeaux blancs secs 2019 : très grand millésime

Les deux facteurs qualitatifs primordiaux pour les vins blancs secs de Gironde sont l'état sanitaire (crainte de la pourriture grise) et la préservation de la fraîcheur (crainte d'un manque d'acidité par rapport à la richesse en sucres).

Ces deux facteurs ont été parfaitement remplis en 2019 :

• l'état sanitaire n'a été à aucun moment en question tant les conditions climatiques ont été en permanence sèches, vendanges incluses.

• la préservation de l'acidité a été assurée grâce à un mois d'août sans canicule prononcée ni nuits trop chaudes. De plus, toujours en août, la contrainte hydrique est restée modérée et n'a pas occasionné de flétrissement des raisins.

Particulièrement expressifs, complexes et équilibrés, avec la vivacité des 2017 mais plus de densité et de longueur en bouche, les vins blancs secs de 2019 que nous avons pu goûter jusqu'à présent nous ont enthousiasmés, dans les grands crus de Léognan comme dans les petits châteaux du Blayais ou de l'Entre-Deux-Mers.

De plus, les quantités sont bonnes car, en l'absence de gel, grêle et maladies, les rendements ont été satisfaisants en 2019 (après une petite demi-récolte en 2018).

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Bordeaux blancs liquoreux 2019 : rares mais beaux, purs et élégants

La faible pluviométrie de septembre favorisa un développement lent et progressif de la pourriture noble sur les grappes conservées après une trie de "nettoyage" (élimination des raisins verts, abimés ou atteints de pourriture acide).

Début octobre, on assista à une brusque accélération de la concentration des baies à la faveur des brouillards matinaux. Il fallait être réactif pour vendanger aussitôt et la plupart des châteaux ont ramassé l'essentiel du millésime 2019 en une seule trie entre le 8 et le 13 octobre. La pluie du 14 octobre et les suivantes ont définitivement dilué les raisins restés sur pied.

Cette vendange des liquoreux 2019 en une seule trie, fait rare dans le Sauternais, eut deux conséquences :

• la pureté aromatique car les raisins ont tous été simultanément botrytisés et aussitôt vendangés,

• la faiblesse des rendements, le plus souvent inférieurs à 10 hl/ha dans les grands crus classés, car seuls les raisins récoltés entre le 8 et le 13 octobre étaient qualitatifs.

2019 est assurément un nouveau beau millésime pour les liquoreux, avec des vins nets, frais, harmonieux, intenses mais sans lourdeur, rappelant le style des 2015 en plus épuré. Seuls les volumes produits pêchent, et avec eux l'équilibre financier des châteaux, une fois de plus.

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Bordeaux rouges 2019 : 4ème grand millésime en 5 ans

Nous vous avons toujours donné un compte-rendu fidèle et sincère de nos avis, en évitant la surenchère systématique où chaque millésime est forcément meilleur que le précédent et où l'extraordinaire côtoie le sublime.

Toutefois, sans tomber dans l'emphase et à la simple vue des moyennes météo citées ci-dessus, nous reconnaissons que 2019 fait sans conteste partie des grands millésimes pour les Bordeaux rouges, à la suite de 2018, 2016 et 2015.

4 grands millésimes pratiquement d'affilée (série à peine interrompue par 2017 lui-même d'excellent niveau) ne s'est jamais vu à Bordeaux et ne peut qu'interroger une fois de plus sur le réchauffement climatique en cours.

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Bordeaux rouges 2019 : tout sauf un long fleuve tranquille

Même si elles sont remarquables, les données météo brutes ne peuvent résumer à elles seules la qualité d'un millésime et à ce titre 2019 n'a pas été de tout repos pour les producteurs de Bordeaux rouges.

Premier écueil, deux brèves périodes de chaleur extrême entre fin juin et fin juillet firent craindre la grillure des raisins : 37,3°C les 26 et 27 juin, 41,2°C le 23 juillet (record absolu à Bordeaux, battant de plus de 2°C le précédent record de juillet 1990) et 38,5°C le 24 juillet. Ceci alors que la France métropolitaine explosait son record toutes catégories avec 46,0°C dans l'Hérault le 28 juin.

Heureusement, le mois d'août connut une chaleur régulière mais sans excès, un seul jour dépassant 35°C (35,2°C le 24 août).

Le second écueil fut une sécheresse continue tout au long de l'été, à peine ponctuée de quelques orages.

Depuis l'été 2013 plus humide que la moyenne, 2019 est le sixième millésime consécutif à la pluviométrie déficitaire. Si une moindre pluviométrie est une condition nécessaire pour l'obtention d'un grand millésime, une sécheresse trop marquée est au contraire défavorable par les écarts voire les blocages de maturité qu'elle provoque.

Indépendamment des arrosages localisés et aléatoires des orages d'été, quatre critères déterminent l'impact de la sécheresse sur la vigne en Gironde :

• l'état des nappes phréatiques fin juin. Par chance, juin 2019 fut excédentaire en précipitation (+37%) et les nappes phréatiques étaient pleines à l'abord de la période sèche.

• la vigueur et surtout l'âge de la vigne, sachant que plus une vigne est âgée, plus son système racinaire est profond et moins elle est sensible à la sécheresse de surface.

• la capacité du sous-sol à retenir l'eau. Les sols avec un fondement argileux (le cœur de Pomerol), calcaire (le coteau et le plateau de St-Émilion, Pauillac et St-Estèphe) ou argilo-calcaire (la rive droite dans son ensemble) sont favorisés tandis que les terroirs les plus drainants de pures graves (sud Médoc et Graves) sont pénalisés (et inversement en année pluvieuse).

• la proximité de l'estuaire de la Gironde, de l'océan atlantique et de la forêt landaise (donc le Médoc et les Graves), bénéfique par une hygrométrie toujours supérieure à celle de la rive droite.

Troisième écueil, les richesses en sucres -notamment des merlots- qui ont très rapidement grimpé en septembre dès les premières averses.

Il fallait choisir avec subtilité des dates de vendanges optimales, juste équilibre entre une bonne maturité des pépins et des degrés alcooliques potentiels contenus (nous avons par exemple noté cette année des écarts de dates de vendanges de 9 jours entre deux propriétés pourtant voisines à St-Émilion).

Les taux d'alcool élevés, récurrents sur l'ensemble des vignobles français (même septentrionaux), sont aujourd'hui un réel problème alors que les consommateurs européens recherchent des vins frais, élégants et fins. Nous avons été ravis d'apprendre qu'en 2019, nombre de grands crus bordelais principalement en rive gauche étaient restés en deçà de 14° (comme à Domaine de Chevalier rouge = 13°, Lafite-Rothschild = 13°4, d'Issan = 13,4°, Pédesclaux = 13,6°, Duhart-Milon = 13°7…).

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Bordeaux rouges 2019 : tout sauf homogènes

Au final, si 2019 réunissait sur le papier toutes les caractéristiques pour obtenir de grands vins, les aléas climatiques et leur interprétation par les producteurs ont induit une grande variabilité dans les résultats de chacun.

Nous n'avons à ce jour accompli que la moitié de nos visites et dégustations pour cause de Covid-19 mais retrouvons partout les mêmes qualités de maturité, de richesse et densité qui sont la marque du millésime. Toutefois, certains vins sont magnifiques de douceur et d'onctuosité de texture quand d'autres présentent des structures tanniques plus anguleuses voire abruptes, avec un alcool déjà sensible.

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Bordeaux rouges 2019 : les meilleurs sont dans la lignée des 2009

Chez ceux qui ont pleinement réussi, pas nécessairement les plus grands crus mais ceux qui ont su, grâce à leur terroir et leur savoir-faire, exploiter au mieux le millésime, 2019 nous rappelle le millésime 2009, par ses robes profondes, ses arômes intenses de fruits noirs, ses bouches mûres et voluptueuses, ses tanins parfaitement enrobés.

Comme en 2009, la rive gauche met en avant la longueur aristocratique de ses cabernets-sauvignons tandis que la rive droite est fière de la suavité procurée par ses merlots.

Pour poursuivre la comparaison stylistique, nous rapprocherions le couple 2018-2019 du couple 2009-2010 mais inversé :

- à 2018 le classicisme bordelais, avec des vins droits, racés, précis, au grand potentiel de garde,

- à 2019 la générosité, le velouté et la séduction, d'un hédonisme plus rapidement appréciable.

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